Tu veux donner de l’argent aux noirs et aux arabes ?

Un (ancien) ami

Dans mon ancienne vie, je n’étais pas assistante sociale.

J’avais un métier bien moins drôle mais pour lequel mes compétences naturelles de marmotte organisée et serviable m’avaient facilité l’accès à un diplôme puis un poste. (Et la facilité, j’aime.)

J’ai exercé cette profession durant 10 ans environ, le temps d’acquérir l’assurance nécessaire pour me lancer dans une réorientation professionnelle. Après de longues recherches et de nombreuses discussions avec des professionnels compétents (je remercie ma psy d’avoir toujours cru en moi, et les conseillères du CIO pour leur soutien indéfectible), j’ai finalement arrêté mon choix sur le métier d’assistante de service social.

Un métier qui me semblait intéressant, original et qui avait, à mes yeux, du sens. (Spoiler : c’est toujours ma vision du métier aujourd’hui.)

Sauf que.

Quelle ne fût pas ma surprise, au moment d’en discuter avec mon entourage, de me rendre compte que cette vision d’un métier épanouissant et utile n’était pas franchement partagée. Mais alors, pas du tout partagée.

Parmi les florilèges de réactions que j’ai reçues du côté de mes amis lors de l’annonce de ma réorientation, voici quelque extraits choisi:

Tu veux donner de l’argent aux noirs et aux arabes ?

Fragile comme t’y’es, tu vas pas tenir deux secondes…

Tu parles plusieurs langues ? Car tu vas pas voir beaucoup de français !

Et y’a trois ans de formation ? Je me demande bien ce qu’il y a besoin de savoir pour distribuer des allocs.

Si vous vous dîtes que je ne sais par choisir mes amis : vous avez raison.

Du côté de ma mère, ça valait aussi le détour :

Toi tu veux t’occuper des autres ? Commence par t’occuper de moi plutôt !

La relation avec la mère, tout ça… #ondevientpasassistantesocialeparhasard. Mais si vous vous posez la question : elle se porte à merveille.

Et finalement ma sœur:

Heureusement qu’il y a des gens comme toi qui veulent s’occuper des cassos, parce que moi je les laisserais tous crever.

Là j’avoue j’ai rigolé.

Dieu merci, j’ai peu d’amis et encore moins de famille.

Parenthèse dans le passé

Les cheveux noirs, les ongles noirs, le rouge à lèvres noir, les vêtements noirs.

Une seule aspiration : avoir la paix.

Un seul projet : m’acheter des New Rock.

Un seul rêve : voir Nightwish en concert. Mais le vrai groupe avec Tarja pas avec une autre chanteuse parce que c’est plus pareil maintenant alors ça vaut pas le coup et de toute manière la vie vaut pas la peine d’être vécue et je déteste tout le monde.

Me revoici au lycée. (musique ambiance punk rock)

Le moment où l’on doit choisir son métier.

Heureusement pour moi, j’ai une vague idée depuis le collège : professeure des école, ou interprète, ou auxiliaire vétérinaire, ou bibliothécaire, ou guide touristique, ou fermière. (Vague, j’ai dit)

Et puis au lycée, j’ai découvert la profession d’assistante sociale. Alors – peut-être parce que j’ai jamais eu le courage d’aller en voir une moi-même – j’ai décidé que ce serait mon métier. #ondevientpasassistantesocialeparhasard

Quand je l’ai annoncé à ma famille, aux enseignants, à mes amis (que je ne savais déjà pas choisir), voici ce qu’on m’a répondu : « c’est trop dur pour toi, ça rapporte pas d’argent, c’est un métier de merde… »

Toutes les réactions ayant été unanimement négatives, j’ai supposé qu’il devait y avoir une bonne raison. Et puis après tout, je n’avais jamais eu affaire à une assistante sociale moi, alors qu’est-ce que j’en savais ?

Ainsi, comme toutes les âmes perdues au lycée, j’ai atterri à l’université.

[Si j’avais été un peu plus maligne, bien plus sûre de moi, et si j’avais réfléchis deux secondes, peut être aurais-je pu me rendre compte que tous ces gens n’avaient, eux non plus, jamais rencontré d’assistante sociale. Et donc qu’ils parlaient sans savoir. Mais qui aurait pu deviner que les gens ont toujours un avis sur tout, en particulier sur les sujets qu’ils ne connaissent pas ?]

Retour en 2016

10 ans après le bac, donc, toujours les mêmes réactions. (Deux hypothèses non exclusives : les gens ne changent pas ou bien une veste ne cache qu’un peu de ce qu’on voit.)

Or, cette fois-ci, je sais quoi répondre.

Donner de l’argent aux noirs et aux arabes ? Il dit qu’il voit pas le rapport.

Fragile comme je suis ? Tu veux que j’t’arrange la face ?

Parler plusieurs langues ? Je parle 4 langues, tu peux en dire autant ?

Distribuer des allocs ? Puisque c’est comme ça, tu n’en auras pas.

Depuis, j’ai changé d’amis.

Commence par t’occuper de moi plutôt !

Bon ok je vais la faire ta demande de retraite.

Des fois il faut savoir perdre.

Sauf que.

Voyant que leurs arguments, aussi pertinents soient-ils, ne me faisaient pas changer d’avis, mes détracteurs m’ont posé LA question : « assistante sociale, mais pourquoi faire ? »

« Pourquoi faire ? »

« Pourquoi ? » tout court

C’est la question ultime que se voient poser les gens qui veulent travailler dans le social. L’aboutissement du voyage initiatique qui permettra enfin de rencontrer son Vrai Soi. Car seule une conversation éthérée avec son animal totem peut pousser à s’orienter vers ces métiers.

[Étrangement, quand ma sœur s’est réorientée dans le marketing, on ne lui a pas demandé pourquoi faire. Or, pour ma part, je ne comprends toujours pas quel est le sens du marketing.]

Quand un enfant dit qu’il veut faire vétérinaire, on ne lui demande pas pourquoi. (Oh il aime les animaux :cœur: :cœur: :cœur:)

Et si un voisin dit qu’il va reprendre ses études pour faire comptable, là non plus, on ne va pas lui demander pourquoi.

Mais s’il s’agit d’assistante sociale ou tout autre métier à connotation sociale, les gens veulent absolument savoir pourquoi. Et une réponse simple et courte (« j’en ai envie ») ne suffira pas. Le peuple à soif de savoir et ne s’en contentera pas : « non mais doit y avoir autre chose ? », « oui d’accord mais à part ça ? »

Comme si ça semblait complètement fou de vouloir exercer ce métier.

Comme si seule la vocation était un argument recevable.

Comme s’il fallait que cette décision cache un trauma croustillant sur lequel l’argumentation devait s’appuyer en trois points thèse – antithèse – synthèse.

À la longue, à force de nombreuses conversations fortes intéressantes (non), j’ai pu répertorier les raisons qui, selon la vox populi, sont légitimes (ou non) pour faire ce métier.

Conclusion

Il y a les bonnes raisons, celles qui sont attendue et comprises par Tatie Jeanine et auxquelles elle répondra certainement par une hochement de tête approbateur.

  1. Je veux aider les gens ou j’aime les êtres humains ou encore je fais ma part (à noter que le colibri crève comme une merde à la fin de l’histoire, mais ça, c’est rarement dit par nos amis à la conscience éveillée.)
  2. J’ai eu une révélation ou Dieu m’a donné la foi ou je dois mériter ma place au paradis.
  3. Je veux me sentir utile ou je veux donner un sens à ma vie.
  4. J’ai vécu une expérience difficile (SDF, placement, violences…), on m’a tendu la main, alors je veux en faire de même pour d’autres ou j’ai vécu une expérience difficile (SDF, placement, violences…), on ne m’a pas tendu la main, alors je veux le faire pour les autres.

Et il y a les mauvaises raisons, celles qui n’assouvissent pas la curiosité des objecteurs et qui les laisserons certainement penser que vous n’y avez sans doute pas assez réfléchi ou alors que vous avez simplement un pète au casque.

C’est un métier intéressant ou c’est passionnant de travailler en contact avec d’autres humains.

  1. Je veux enlever des enfants à leurs parents.
  2. On peut travailler dans pleins d’endroits différents ou c’est un secteur qui recrute.
  3. J’aime l’idée d’être pauvre du début à la fin de ma carrière.
  4. Pour l’honneur, l’argent et la gloire.
  5. Non mais parce qu’en fait à la base je voulais pas être assistante sociale moi, je voulais être projectionniste mais j’ai eu le concours alors…

Peut être cela vous sera-t-il utile dans les réunions de famille.

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À propos d’une Marmotte Badine

Dans une société ultra-libérale dirigée par un enfant tyran, une jeune assistante sociale particulièrement élégante porte une parure en plaqué or et des converses Sailor Moon. Cette assistante sociale, pour qui aider les autres est un loisir et envoyer balader les cuistres un passe-temps, a choisi l’anonymat relatif de l’Internet pour écrire La Vérité. Cette assistante sociale, c’est une Marmotte Badine.
Accompagnée de tous ses amis animaux travailleurs sociaux, elle tentera de sauver de monde par l’humour.

(Toute ressemblance avec une œuvre ou des personnages inventés par Riad Sattouf serait purement fortuite et ne pourrait être que le fruit d'une pure coïncidence.)

6 Comments

  1. avatar
    tournicotons says:

    Pas besoin de raison : « le social, c’est une vocation » ou « un métier passion », qu’ils disent.
    Et pas besoin de bien nous payer du coup, on a déjà la *chance* de vivre de notre passion, faut pas pousser le bouchon trop loin non plus, Maurice. 🤔

    1. avatar

      Pas besoin non plus de reconnaissance (de notre travail). Ou de lumière (sur notre métier). Ou de sécurité (tout court).
      À trop en demander, on va se retrouver privé de croquettes.

  2. avatar
    reve_papillon says:

    Chère Marmotte, assistante de service social déterminée, avec une solidité a toutes épreuves face à ces animaux qui croiVENT savoir tout sur tout maisquinensaventriendutout.
    Merci pour ton regards et pour cet humour qui te caractérise tout entière, et qui me fera toujours rire infiniment en rendant ce monde bien plus coloré et beau! MERCI!
    Je me souviens bien de toi dans cette salle avec les prénoms, le premier jour. A vrai dire, je t’avais déjà remarqué devant l’entrée du bâtiment! Une marmotte ça ne passe pas incognito! Moi aussi j’étais à la recherche “des animaux de la formation” ou bien de potentiels futures collègues animaux de promo-ami(e)s! Je n’ai point vu ton trouble du tout dans cette classe, pour le jeu des étiquettes, et n’ai retenu de toi que ton humour, subtile et bien placé! Par exemple, dans la façon dont tu as donné le prénom au faon quand iel est arrivé(e) avec ton “ faon? C’est toi?” ! Et je me suis dis “Cette marmotte, elle a vraiment l’air top”! Hâte de lire la suite!! ❤️
    Un papillon de passage sur ton blog

    1. avatar

      Merci pour tout merveilleux petit papillon ! J’espère que les prochaines histoires te plairont tout autant <3
      Quel honneur de savoir que tu es passée par ici 🙂 J’en suis chamboulée !

  3. […] Chaque visage croisé sur le trajet jusqu’à l’école est minutieusement étudié afin de détecter si son/sa propriétaire est un/e potentiel/le future camarade de classe. Va-t-il/elle dans la même direction que moi ? A-t-il/elle une tête à vouloir aider des cassos ? […]

  4. […] choisi de faire ce métier pour l’honneur, l’argent et la gloire. Et pour aider les pauvres et les handicapés. Et aussi pour retirer des enfants à leurs […]

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