Les 10 commandements de l’assistante sociale débutante sont une série d’articles racontant chacun, sur un ton que j’espère badin, une anecdote de parcours pour valider ma période d’essai.


Je suis L’Institution, j’ai pour seul représentant La Hiérarchie. Je t’ai fait sortir de France Travail, la maison du chômage, et tu n’obéiras pas à d’autres Institutions que moi.

Nous sommes quelques années en arrière, et j’obtiens fièrement mon diplôme.

15 candidatures, 4 propositions d’entretiens, 2 entretiens d’embauches, 2 offres de poste, et 1 choix plus tard : je suis embauchée dans L’Institution.

Le lieu : une grosse boîte avec plein de gens qui travaillent dedans.

Le public : des personnes malades. Mais genre malades vachement beaucoup. Pas la grippette.

Les missions : dans un premier temps, faire que ces gens malades soient moins pauvres et moins isolés ; dans un second temps, faire qu’ils soient heureux et attractifs sur le marché de l’emploi (à l’impossible nul n’est tenu).

L’Institution figurant dans le top 3 des endroits où je veux travailler quand je serai grande (comprendre : diplômée), l’impatience de commencer me tient éveillée depuis des semaines. Mon cartable est prêt depuis le jour où on m’a appelé pour me dire que j’étais retenue. La veille de mon premier jour, j’ai mis deux heures à choisir ma tenue pour avoir l’air « professionnelle-mais-pas-trop-guindé-non-plus ». En arrêtant mon choix sur un tailleur et un sac à dos Kipling, je crois avoir réussi mon pari. (Et si vous n’êtes pas d’accord, prouvez-moi donc que le bon goût est dans votre camp.)

Première semaine

Arrivée aux aurores (9h) devant un immense bâtiment gris et effrayant. Le matin, La Hiérarchie me donne des informations sur le salaire, les congés, la période d’essai…

Je pose toutes les questions qui me passent par la tête.

Quels sont les horaires de travail ? L’exercice civil va de quand à quand, vous avez dit ? Je dois prévenir qui si je suis malade ? Enfin je ne suis que très rarement malade mais on ne sait jamais vous savez une grippette est si vite arrivée enfin non ce n’est pas ce que je voulais dire j’ai des défenses immunitaire en béton mais disons que je préfère prévoir enfin non je n’ai pas prévu d’être malade mais euh et sinon c’est quoi un exercice civil ?

L’effrayante assurance d’une marmotte badine

L’après-midi, La Hiérarchie me montre mon bureau, me présente à l’équipe, et m’explique le déroulement de la semaine. Je comprends que mon planning est organisé de sorte que, chaque demi-journée, un membre de l’équipe me présente une de nos missions ou un de nos outils de travail. Et ça me va bien.

Deuxième semaine

J’arrive toute fringante dans le bureau de La Hiérarchie pour connaître mon planning de la semaine.

Bonjour Marmotte, ça va ?

Oui !

Très bien. Cette semaine, tu vas commencer le tuilage avec Girafe, ta marraine.

Super !

Je te laisse voir avec elle pour l’organisation de tes journées et on fait un point vendredi, OK ?

Parfait !

Et je m’en suis allée gaiement dans mon bureau.

Où je me suis assise.

En me demandant ce que pouvait bien être le sens du mot tuilage (est-ce que ça a un rapport avec la toiture ?), et qui était cette Girafe dont il me semblait ne jamais avoir entendu parlé (pourtant une girafe, ça se remarque non ?), et depuis quand était-elle ma marraine ? (je ne suis même pas baptisée).

Dans une vaine tentative de me donner de la contenance, j’allume l’ordinateur et ouvre ma boîte mail, en réfléchissant à la manière de résoudre mon léger problème (« au fait, il est où le bureau de Girafe, déjà… ? »)

Heureusement, je tombe immédiatement sur un message.

Bonjour Marmotte,
Appelle-moi quand tu arrives.
Cordialement,
Girafe
06xxxx

Soulagée, je décroche aussitôt mon téléphone.

Girafe, assistante sociale chevronnée au sein de l’Institution, m’apprend alors des tas de nouvelles choses : en tant que marraine, elle va me suivre durant deux mois pour « aider à ma bonne intégration dans L’Institution », « m’accompagner dans mes nouvelles fonctions », et « répondre à mes questions ».

Au cours de cette semaine, je l’ai suivie comme une ombre : elle reçoit des entretiens, je prends des notes, elle anime une réunion, je prends des notes, elle mange un sandwich, je prends des notes.

Je suis particulièrement admirative de la façon dont Girafe arrive si habilement à balayer tous les aspects d’une situation en posant seulement quelques questions. Et je prends des notes.

La différence entre une Marmotte stagiaire et une Marmotte professionnelle ? Aucune, si ce n’est le salaire. Et ça me va bien.

Troisième semaine

J’arrive le lundi à 8h plus motivée que jamais, hurlant un « BONJOUR » sincère mais bien trop violent dans les oreilles de mes collègues (il faudra que je corrige ça).

8h05 : je suis assise devant mon ordinateur, une tasse de café brûlant dans une main et la souris dans l’autre.

8h10 : ma langue et mon œsophage sont brûlés par le café, mais ma souris n’a pas bougé.

8h15 : ma souris n’a toujours pas bougé, et le regard hagard que je vois se refléter sur mon écran me fait un peu peur.

J’ai beau connaître les missions, les politiques, les outils de travail… Sans public à accompagner, je ne sers à rien.

Alors que je me retiens de paniquer, La Hiérarchie entre soudainement dans mon bureau et me remet une liste de 150 noms de gens malades.

Les larmes aux yeux (de bonheur), je saisis la liste et commence à appeler des gens pour me présenter, expliquer ma prise de fonction, fixer des entretiens, répondre à des questions, envoyer des mails.

Entre deux conversations, je vais faire pipi. Puis je recommence. Et sans que je ne comprenne comment ni pourquoi, la journée est finie.

Un clignement d’œil plus tard, nous sommes le lendemain. Un deuxième clignement d’œil plus tard, la semaine est terminée. Un troisième clignement d’œil, me voilà dans le grand bain. Et ça me va bien.

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À propos d’une Marmotte Badine

Dans une société ultra-libérale dirigée par un enfant tyran, une jeune assistante sociale particulièrement élégante porte une parure en plaqué or et des converses Sailor Moon. Cette assistante sociale, pour qui aider les autres est un loisir et envoyer balader les cuistres un passe-temps, a choisi l’anonymat relatif de l’Internet pour écrire La Vérité. Cette assistante sociale, c’est une Marmotte Badine.
Accompagnée de tous ses amis animaux travailleurs sociaux, elle tentera de sauver de monde par l’humour.

(Toute ressemblance avec une œuvre ou des personnages inventés par Riad Sattouf serait purement fortuite et ne pourrait être que le fruit d'une pure coïncidence.)

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